Chaque semaine, depuis maintenant 5 mois, je me rends dans la chambre de M. S., hospitalisé définitivement, pour une séance d’1h30 de soins. M. S. est atteint de la sclérose en plaques dans un stade très avancé. En effet il ne peut plus parler, ni marcher, ne peut presque plus bouger son bras droit. M. S. est un homme jeune, âgé d’un peu plus de 40 ans, il est très encombré, est nourri par sonde et reste dans sa chambre toute la journée.

Les moyens de communication sont extrêmement restreints.

En socio-esthétique et notamment en soins individuels, rien n’est prévu à l’avance quand il s’agit des soins. Parfois M. S. est très fatigué: les yeux sont rouges, il détourne le regard, il peut être agité. Parfois je le sens « bien » : il me regarde attentivement, m’écoute, me suis du regard, ses yeux sont vifs et écarquillés.

J’apprends toujours à le connaître. J’OBSERVE le moindre de ses gestes afin de ressentir ses besoins, ses craintes. Ne pas le brusquer, se demander quels soins, quelle musique, quelles odeurs pourraient lui plaire. C’est une observation de chaque instant, lorsque la parole n’est plus présente (du côté du patient).

Soins des mains, du visage, massage des jambes, des trapèzes, du cuir chevelu, du dos. Je sais maintenant ce qu’il préfère en écoutant son langage non verbal.

Cependant, en début de semaine dernière, avant de le revoir, je me disais :  » C’est bien ce que je fais, je sais que sur le moment les soins lui font du bien mais il manque quelque chose. »

C’est un monsieur qui comprend tout, un monsieur enfermé dans son corps et qui a la connaissance qu’il sera dans cette situation jusqu’à son dernier souffle. Comment se l’imaginer? Comment lui donner goût à la vie ?

QUEL EST MON RÔLE?

  1. L’écoute / La communication
  2. Rompre la solitude
  3. Lui redonner du confort / Bien-être
  4. Le soutenir dans des phases difficiles

Je faisais tout cela depuis 5 mois mais je devais passer à une autre phase. Mais laquelle?

Et j’ai trouvé, lors de notre dernière séance. Une séance qui aurait pu être comme toutes les autres mais qui s’est révélée mémorable.

5. Le booster, lui donner de l’envie, lui montrer qu’il est fort malgré tout et qu’il peut épater son entourage, encore.

Je savais qu’il avait de la force dans le bras et la main gauche, par des exercices de mobilisation des mains. Et cette fois-ci, mon humour et l’esprit de jeu prenant le dessus, je lui dis : « Et si nous faisions un bras de fer ? »

Au moment où je dis cela je m’expose de suite à une crainte : celle de le mettre en échec. D’une part qu’il ne se prête pas au jeu car son corps ne lui aurait pas permis,  et celle qu’il perde car pour son estime de soi je ne pouvais le laisser gagner facilement. En l’espace de quelques minutes je me suis posée 10000 questions à savoir si  je faisais ce qu’il fallait.

Et LE MIRACLE s’est produit : il a tenu ma main, il y a mis tout son coeur et toute son âme. Il a usé de sa force , il a gagné et il a SOURI.

Depuis la première fois, depuis ces 5 mois passés à ses côtés, il a souri et cela restera gravé dans ma mémoire de socio-esthéticienne.

J’ai découvert son côté battant, compétiteur. Une étincelle a surgi et a mis la sclérose en plaques en second plan. Il était fort à ce moment-là et surtout IL S’EST SENTI FORT !

C’est ça la socio-esthétique !